S’identifier pour exister : stratégie de marque, storytelling et puissance symbolique

Découvrez comment les marques suscitent l’identification par le récit, la cohérence symbolique et l’authenticité sur les réseaux sociaux. Dans cet article découvrez comment bâtir votre stratégie de marque sur les réseaux sociaux pour permettre aux clients de s'identifier à elle.

WEBMARKETING

LYDIE GOYENETCHE

5/4/20258 min lire

stratégie de marque
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Stratégie de marque et besoin d’identification : une lecture à la croisée de Maslow et de Crismner

Le besoin d’identification, entre Maslow, Crismner et l’anthropologie sociale

Identité et structure sociale : le rôle du noyau central et de la périphérie

Dans la hiérarchie des besoins humains proposée par Abraham Maslow, le besoin d’estime se situe à un niveau élevé, précédant la réalisation de soi. Il inclut à la fois la reconnaissance sociale et l’estime de soi. Or, ce besoin d’estime peut être analysé à la lumière de l’anthropologie sociale comme une tension constante entre noyau central et périphérie : le noyau représentant l’identité personnelle profonde, et la périphérie les éléments sociaux et symboliques que l’individu intègre au fil de son histoire pour construire un soi reconnu.

Les groupes sociaux, le langage, les codes culturels jouent ici un rôle primordial dans la construction d’un être en devenir. L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes : elle se façonne à travers les interactions, les appartenances et les systèmes de signes auxquels on adhère. Le besoin d’estime, dès lors, ne peut être pensé sans le besoin corrélatif d’identification, car l’être humain a besoin d’être vu et compris à travers les signes qu’il adopte, mais aussi de se reconnaître lui-même à travers ces médiations sociales. Pour éclairer cette dynamique, les travaux de Serge Moscovici et Jean-Claude Abric sur les représentations sociales nous offrent un cadre utile. Ils distinguent dans toute représentation un "noyau central", porteur de sens et relativement stable, et une "zone périphérique" plus souple, où s’actualisent les variations individuelles ou contextuelles. Transposée à la construction de l’identité, cette approche montre que chaque individu se construit autour d’un noyau symbolique fondé sur ses croyances fondamentales, ses valeurs, son histoire, tandis que la périphérie représente les éléments sociaux (langage, groupes, appartenances, images de marque) qu’il adopte ou rejette pour maintenir la cohérence de ce noyau.

Prenons un exemple : un individu dont le noyau identitaire valorise l’autonomie et la créativité pourra s’identifier à une marque comme Patagonia, non pas pour ses produits uniquement, mais pour ce qu’elle incarne dans l’espace social : l’éthique, l’authenticité, la liberté de ton. Cette identification ne sera pas automatique, mais construite progressivement, en fonction des interactions, des signes partagés et du degré de congruence entre les messages de la marque et le noyau central de l’individu.  Quand la reconnaissance sociale fait défaut : chercher d’autres lieux d’estime

C’est dans cet interstice que naît le besoin d’identification. Ce besoin peut toutefois être mis à mal lorsque l’individu occupe une place sociale dévalorisée ou peu reconnue. Une profession perçue comme invisible, peu valorisée ou non légitime peut entraver la satisfaction du besoin d’estime et créer des dissonances identitaires profondes. Cela peut générer des malaises, une perte de confiance, voire un retrait symbolique. Mais l’individu ne reste pas passif face à ce déficit : il cherche d’autres espaces de reconnaissance.

C’est ici que les réseaux sociaux, l’engagement associatif ou la création (artistique, entrepreneuriale, narrative) peuvent jouer un rôle de compensation et de régulation. Ces sphères permettent de reconstruire une identité valorisée à travers d’autres canaux, plus souples, moins contraints par les hiérarchies sociales classiques. Publier un contenu, créer une communauté, s’impliquer dans une cause, c’est parfois retrouver un miroir où se réconcilier avec soi-même, en dehors des rôles prescrits par la société.

La sociologue Nathalie Crismner, en s’appuyant sur les travaux d’Erving Goffman et de Pierre Bourdieu, a approfondi cette dimension en montrant que l’identification n’est pas une simple projection passive, mais un acte actif d’adhésion symbolique. S’identifier, c’est se reconnaître dans un système de signes, de valeurs, de postures. C’est adhérer à une manière d’être au monde, souvent incarnée par une figure, une marque, un discours. L’identification permet de réduire les dissonances internes, d’aligner ses représentations et d’appartenir à un groupe symbolique de référence. Elle structure le lien social tout autant que l’estime de soi.

En marketing, ce besoin est fondamental : une marque forte n’est pas seulement connue ou aimée, elle est investie symboliquement par ses publics. Elle devient un support d’identité, un miroir dans lequel le client se reconnaît, se valorise, se projette.

On ne s’identifie pas à un produit ou un service, mais à une marque ou à une personne : pourquoi ?

Une marque engageante porte toujours une charge symbolique

Le produit ou le service répond à un besoin fonctionnel. Il peut susciter la satisfaction, l’habitude, voire la fidélité, mais il n’a pas en lui-même de charge symbolique suffisante pour susciter un attachement profond.

Ce qui fait lien, ce qui provoque l’identification, c’est ce qui dépasse la fonctionnalité : l’histoire, la posture, les valeurs. En d’autres termes, on ne s’identifie pas à une perceuse, mais à la marque qui valorise l’artisanat, la transmission, le "faire soi-même". On ne s’identifie pas à un yaourt, mais à une marque qui incarne une vision de l’alimentation, du corps, de la nature, de la communauté.

Ce mécanisme est encore plus fort lorsqu’il s’agit de personnes. Le personal branding fonctionne précisément parce qu’il humanise la relation. Le visage, le ton, les gestes, la vulnérabilité même deviennent des points d’accroche pour l’identification. Là où la marque inspire, la personne engage. Les deux peuvent se renforcer mutuellement.

En anthropologie, ce phénomène est ancien. Les sociétés humaines ont toujours eu besoin de figures à admirer, de modèles à suivre, de récits pour se construire. Le marketing moderne, parfois critiqué pour sa superficialité, ne fait que rejouer ce vieux besoin sous des formes nouvelles. Ce n’est pas l’objet qui parle à notre identité, mais le récit qu’on lui attache, le sens qu’on lui donne, le monde auquel il nous relie.

Cela suppose l’existence d’une charge symbolique. Une marque qui engage doit porter un récit, une histoire, une posture qui mobilise des archétypes sociaux, culturels ou émotionnels. C’est cette charge symbolique qui active le processus d’identification : sans elle, il n’y a qu’un objet fonctionnel, interchangeable. Avec elle, la marque devient signifiante, et donc engageante. Les réseaux sociaux sont aujourd’hui des terrains privilégiés pour cette mise en récit.

Exemples concrets : Instagram, LinkedIn, TikTok

Prenons l’exemple d’Instagram : une marque comme Glossier, dans l’univers des cosmétiques, a su construire un écosystème où chaque cliente peut se projeter, non à travers des photos publicitaires figées, mais par l’usage réel du produit, relayé par des clientes ordinaires devenues ambassadrices. L’esthétique, le ton conversationnel, le refus de la perfection absolue deviennent autant de marqueurs symboliques permettant l’identification.

Sur LinkedIn, des marques comme Welcome to the Jungle ou Shine adoptent un discours engagé sur le travail, l’inclusivité ou le bien-être professionnel. Elles ne se contentent pas de promouvoir un service : elles proposent une vision du monde du travail dans laquelle de nombreux utilisateurs se reconnaissent. Cela crée de l’adhésion bien au-delà de l’offre initiale.

Enfin, sur TikTok, des créateurs indépendants (parfois associés à des marques) incarnent une posture qui déclenche l’identification parce qu’elle active le noyau identitaire : valorisation de l’authenticité, de la vulnérabilité, de l’audace ou du sens de la justice. La marque ne vend plus seulement un produit, elle devient complice d’un récit personnel. Cela implique que dans chaque message, dans chaque image, dans chaque fragment de branding, le client puisse retrouver des éléments qui lui permettent de s’identifier. Il doit pouvoir percevoir une cohérence entre ce qu’il voit sur les réseaux sociaux, ce qu’il entend dans une prise de parole publique, ce qu’il découvre sur un site web ou dans une newsletter.

Cette cohérence narrative est essentielle : elle crée la confiance, elle nourrit l’appartenance, elle favorise la projection. Dans une stratégie de marque profondément humaine, il n’y a pas véritablement d’acte de vente tel qu’on l’entend dans un tunnel de conversion classique. Il y a un acte d’engagement émotionnel. Une marque qui touche, qui remue, qui évoque un sentiment juste au bon moment, déclenche une forme d’adhésion bien plus forte que celle obtenue par un argumentaire rationnel.

C’est la base même du social marketing : entrer dans la vie des gens par la proximité, l’émotion, la résonance symbolique, et non par l’imposition ou la répétition. Il n’y a donc pas de stratégie de marque sans storytelling unifié. Ce récit cohérent, tissé à travers tous les canaux de communication, donne un socle stable à l’identification. Il permet au client de s’inscrire dans une histoire plus vaste que lui, de s’y reconnaître, d’y trouver une continuité. Une marque qui ne raconte rien ou qui change de ton selon les canaux perd en crédibilité, en puissance symbolique et, in fine, en capacité à engager durablement. Le storytelling, loin d’être un artifice, devient alors l’ossature même de la stratégie de marque.

Les réseaux sociaux pour une stratégie de marque cohérente et efficace : créer l’engagement dans un lien authentique

Les réseaux sociaux, par leur nature participative et instantanée, sont des espaces privilégiés pour faire vivre une stratégie de marque fondée sur l’identification. Mais ils ne peuvent être pensés comme de simples vitrines publicitaires ou des relais d’information descendante. Leur potentiel repose sur la capacité de la marque à créer un lien. Un vrai lien. Pas seulement un like ou une impression, mais un écho, une reconnaissance, un échange sincère.

Créer l’engagement sur les réseaux sociaux, ce n’est pas faire du volume, c’est faire de la justesse. C’est répondre avec attention, valoriser les prises de parole de sa communauté, relayer des contenus qui font sens. C’est aussi oser l’écoute, le doute, l’humour, la vulnérabilité. Autant de dimensions qui nourrissent une relation de confiance et permettent au client de s’identifier à une marque qui lui ressemble, qui lui parle, qui partage son monde.

Une stratégie cohérente ne se mesure donc pas uniquement à la régularité de publication, mais à la capacité à maintenir une ligne symbolique claire : que dit la marque, comment le dit-elle, à qui s’adresse-t-elle, et surtout : à quoi invite-t-elle ? Une marque qui ouvre des espaces d’expression, qui respecte le langage de ses publics, qui se met en situation de relation – et non de contrôle – pose les conditions d’une identification féconde.

Dans cet écosystème, l’engagement devient un indicateur de profondeur relationnelle, non de performance quantitative. Et c’est dans cette profondeur que réside la véritable efficacité d’une stratégie de marque durable.

Le succès de certaines figures charismatiques repose précisément sur cette capacité à toucher une vérité humaine universelle sans jamais forcer l’identification. Prenons l’exemple de Thérèse de Lisieux. Ce qui fonde la puissance de son rayonnement n’est pas seulement son statut de docteure de l’Église, mais la manière dont elle a su exposer sa vulnérabilité avec une rare discrétion, une finesse de ton, et une radicale sincérité. C’est cette vulnérabilité offerte sans exhibition, comme lieu de rencontre avec la Grâce, qui continue d’inspirer et de transformer. À l’image des marques les plus puissantes symboliquement, Thérèse n’a pas crié son message : elle l’a incarné. Elle a laissé les autres le reconnaître, librement, dans un espace d’écho intime. Une vulnérabilité habitée : le cas de Thérèse de Lisieux

Il y a là une leçon de stratégie de marque qui dépasse le marketing : la profondeur touche plus sûrement que la persuasion.