Fatigue psychique, effet miroir et IA : ce que le cerveau humain fait que la machine ne peut pas

Entre insomnies, surcharge mentale et neurones miroirs, cet article explore le travail psychique humain face aux limites du machine learning. La fatigue psychique peut être révélatrice de plusieurs éléments.

DYNAMIQUE DE GROUPE

LYDIE GOYENETCHE

10/11/202522 min lire

effet miroir
effet miroir

Fatigue psychique, insomnies et effet miroir – un monde en surcharge mentale

En France, le sommeil est en crise silencieuse. Bien avant la pandémie de Covid-19, les troubles du sommeil touchaient déjà une large part de la population. Selon Santé publique France, environ 13,1 % des adultes souffraient d’insomnie chronique en 2017. Ce chiffre inquiétant a explosé depuis la crise sanitaire. Une étude menée par l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance (INSV) révèle qu’en 2021, près de 66 % des Français déclaraient souffrir de troubles du sommeil, avec une nette aggravation des insomnies chez les femmes, les jeunes actifs, et les aidants. La perte de repères temporels, l’anxiété générée par l’incertitude sanitaire, les confinements à répétition et le télétravail massif ont tous contribué à dérégler les cycles veille-sommeil. Le sommeil, qui est à la fois régulateur de l’équilibre biologique et soutient essentiel des fonctions cognitives, s’est trouvé mis à mal dans un climat collectif de tension prolongée.

Dans le même temps, les cas de burn-out explosent, en particulier dans le monde du travail. D’après le baromètre annuel de l’Ifop pour le cabinet Empreinte Humaine, 2,5 millions de Français actifs étaient en état de burn-out sévère fin 2023, soit près d’un salarié sur cinq. Le phénomène n’est plus réservé aux cadres ou aux professions à responsabilité : il touche désormais des secteurs historiquement peu concernés comme la grande distribution, l’éducation ou le soin.

Le corps craque, mais surtout l’esprit s’épuise. Derrière le mot fourre-tout de "burn-out", c’est une réalité plus complexe qui émerge : celle d’un effondrement cognitif, d’une surcharge émotionnelle chronique et d’un brouillard mental persistant que de nombreux professionnels décrivent sans toujours pouvoir le nommer.

Ce que l’on appelle aujourd’hui "fatigue psychique" ou "fatigue cognitive" désigne précisément ce phénomène. Il ne s’agit pas simplement de "fatigue physique" ou de manque de sommeil, mais d’un épuisement plus profond, intérieur, lié à une sollicitation excessive du système nerveux central et des fonctions exécutives du cerveau. Difficultés de concentration, pertes de mémoire, irritabilité, troubles du langage, incapacité à prendre des décisions simples : autant de symptômes qui traduisent un débordement du psychisme et une saturation des circuits de traitement de l'information.

Cette fatigue cognitive touche aussi bien les managers que les salariés, les indépendants que les soignants, les enseignants que les aidants familiaux. C’est une fatigue de l’intériorité active, un signal d’alarme que le mental n’a plus de marges de manœuvre.

Mais comment en arrive-t-on là ? Pourquoi l’esprit s’épuise-t-il, parfois jusqu’à provoquer insomnies, crises d’angoisse ou dépersonnalisation ? Et si une partie de l’explication ne se trouvait pas seulement dans le stress externe, mais dans un travail psychique constant, parfois inconscient, qui mobilise nos ressources même pendant la nuit ?

C’est ici que la psychanalyse peut nous aider à éclairer les zones d’ombre. Loin d’être réservé aux seuls divans ou aux cercles universitaires, le concept d’effet miroir révèle une piste précieuse pour comprendre cette usure mentale contemporaine. À force d’être traversés par le regard de l’autre, d’absorber ses attentes, ses projections, ses émotions – dans le cadre professionnel, familial ou numérique – nous portons un reflet du monde qui finit par nous consumer intérieurement.

Ce miroir psychique, constamment activé, interroge notre rapport à l’altérité, au travail, et à nous-mêmes. Il mobilise en permanence notre "moi observé" et notre "moi observant", générant une activité mentale incessante, même en apparence silencieuse.

Cet article propose de croiser ces trois fils – la fatigue psychique, l’effet miroir et les insomnies – pour comprendre ce qui, aujourd’hui, use nos ressources mentales jusqu’à l’épuisement. Nous explorerons comment le travail psychique inconscient peut devenir un facteur d’insomnie, en quoi l’effet miroir est un mécanisme fondamental mais énergivore, et comment réapprendre à déposer le fardeau intérieur pour retrouver un sommeil plus apaisé.

Comprendre le travail psychique et l'effet miroir : un voyage intérieur entre surcharge mentale et miroir social

Le travail psychique : cette activité silencieuse qui épuise

Nous parlons souvent de surcharge de travail, de pression professionnelle, de burn-out, mais bien plus rarement de ce qui, en nous, s’active pour maintenir l’illusion du contrôle et la continuité de notre identité : le travail psychique. Il ne s’agit pas ici du travail réalisé par le cerveau au sens neurologique, mais de l'ensemble des opérations internes que notre psychisme met en œuvre pour penser, filtrer, traiter, symboliser et donner sens à notre expérience quotidienne. C’est une activité invisible, souvent inconsciente, qui mobilise des énergies profondes. Lorsqu’elle est continue, sur-sollicitée ou piégée dans des états conflictuels non résolus, elle devient source de fatigue, voire d’effondrement. C’est ce que beaucoup de personnes ressentent sans savoir comment le nommer : cette impression d’être "vidé", sans pourtant avoir rien fait de physiquement exigeant.

Vivre à Paris, par exemple, impose une sollicitation mentale constante. Entre les bruits de la ville, la pression des transports, les regards croisant les nôtres dans le métro, les messages visuels publicitaires, les notifications sur nos écrans et les exigences sociales implicites, le psychisme doit sans cesse trier, réagir, anticiper. Dans ce contexte urbain dense, le travail psychique devient un véritable marathon silencieux. Il ne s’arrête jamais, pas même la nuit, car les résidus non digérés de la journée viennent alors peupler nos rêves, nos insomnies, ou ce moment de semi-conscience où l’on ressasse sans pouvoir s’endormir.

L'effet miroir : entre construction du soi et intrusion de l'autre

Dans cette activité psychique, un concept fondamental de la psychanalyse vient souvent jouer un rôle majeur : l'effet miroir. Il trouve son origine dans les travaux de Jacques Lacan, avec la théorie du "stade du miroir". Pour Lacan, c’est en se voyant dans le regard d’autrui – dès l’enfance – que le sujet se constitue une unité imaginaire, un "moi" capable de se reconnaître. Mais ce reflet est toujours partiel, déformé, tributaire du cadre dans lequel il s'inscrit. L’effet miroir agit alors comme un double tranchant : il nous aide à nous construire, mais peut aussi nous aliéner, nous enfermer dans des attentes ou des images sociales qui ne correspondent pas à notre vérité intime.

Revenons à Paris, où les interactions sociales s'accumulent à un rythme effréné. Chaque rencontre, même furtive, contient un fragment de cet effet miroir. Une réflexion rapide dans la vitre d’un café où l'on se voit observé par autrui, une remarque anodine d’un collègue, un regard appuyé dans une réunion, un post sur les réseaux sociaux… Tous ces "miroirs" renvoient une image de nous-mêmes, que notre psychisme tente d’intégrer ou de repousser. Quand les images sont discordantes ou trop éloignées de notre identité profonde, un conflit interne peut se créer, nourrissant un travail psychique incessant pour tenter de réconcilier ce que nous sommes, ce que nous voulons être, et ce que les autres projettent sur nous.

Travail psychique et effet miroir : le couple invisible des insomnies modernes

Le lien entre insomnie et travail psychique intense devient plus clair lorsque l’on comprend comment l’effet miroir agit comme un déclencheur silencieux de tensions internes. Le regard d’autrui, en activant des représentations mentales, peut mobiliser des conflits psychiques anciens, des souvenirs non symbolisés, ou des attentes internes excessives. C’est particulièrement vrai dans les contextes professionnels, où la compétition, l’évaluation constante, les jeux de pouvoir et les systèmes de reconnaissance viennent accentuer l’exposition au regard de l’autre.

Le sujet ne se sent pas simplement vu : il se sent scruté, comparé, jugé. Ce regard devient alors un miroir déformant, source de surchauffe mentale.

Le soir venu, loin de s'apaiser, ce travail psychique se poursuit. L’esprit revit les scènes, réinterprète les mots, analyse les expressions, cherche ce qu’il aurait fallu dire ou faire. Ce que l’on nomme parfois de manière vague "rumination" est en réalité un activisme psychique, un effort de digestion de ce que le miroir social a renvoyé durant la journée. Ainsi, l'insomnie peut être vue non pas comme une simple difficulté à dormir, mais comme une surcharge du travail psychique alimentée par l'effet miroir. C’est le moment où l’intérieur tente de remettre de l’ordre dans les éclats du moi exposé.

Le corps comme interface du psychisme : quand la fatigue devient somatique

Cette activité mentale continue, souvent non reconnue, finit par se traduire dans le corps. Le sommeil, qui devrait être une phase de régénération, devient un champ de bataille silencieux. L’endormissement tarde, les rêves sont agités, le réveil précoce. Le lendemain, la fatigue est là, mais elle n’est pas que physique. Elle est dans les muscles, oui, mais aussi dans le regard flou, dans l’incapacité à se concentrer, dans l’hypersensibilité au bruit, au jugement, aux imprévus. Ce sont les signes d’une fatigue cognitive, une érosion lente de nos capacités à traiter, prioriser, réagir. À Paris, où l’information est permanente et les sollicitations constantes, ce type de fatigue devient chronique. Le corps, privé de pauses mentales réelles, devient le dernier révélateur du surmenage invisible.

La fatigue psychique et cognitive, nourrie par le travail psychique permanent et le regard d'autrui internalisé par l'effet miroir, n'est pas une faiblesse personnelle. C'est un signe de la complexité des liens entre notre identité psychique et notre environnement social. La métropole n’en est qu’un amplificateur : même loin des grandes villes, les réseaux sociaux, les exigences professionnelles et les injonctions à la performance jouent le rôle de miroirs incessants.

Étayage neuroscientifique : les neurones miroirs et l’apprentissage du soi

Ce que la psychanalyse a formulé comme effet miroir trouve aujourd’hui des résonances dans les découvertes des neurosciences. Dans les années 1990, une équipe de chercheurs italiens dirigée par Giacomo Rizzolatti a mis en évidence, chez le singe puis chez l’humain, l’existence de neurones miroirs : des neurones qui s’activent aussi bien lorsque l’on effectue une action que lorsque l’on observe quelqu’un d’autre la faire. Cette découverte a bouleversé notre compréhension de l’apprentissage, de l’empathie et de la construction de l’identité.

Ces neurones jouent un rôle crucial dès la petite enfance. Un bébé qui regarde sa mère sourire active dans son cerveau les mêmes zones que s’il souriait lui-même. L’enfant intègre ainsi les émotions, les gestes, les attitudes de l’adulte comme s’il les vivait de l’intérieur. C’est par ce processus que s’installe la capacité à imiter, mais aussi à se représenter l’état émotionnel d’autrui. Ce que Winnicott appelait le "miroir maternel" trouve ici une base biologique : le visage de la mère reflète l’état émotionnel du nourrisson, lui permettant de se reconnaître comme sujet distinct.

Des études en neuroimagerie ont montré que chez l’adulte, ces circuits de neurones miroirs continuent d’intervenir dans la perception sociale, la compréhension des intentions d’autrui, la régulation émotionnelle. Toutefois, une sollicitation excessive, ou des stimuli contradictoires (par exemple sur les réseaux sociaux, où l’on voit sans être vu, où l’image est surexposée mais déconnectée du réel), peuvent perturber ces mécanismes. L’empathie devient surcharge. L’identification devient confusion. Le reflet devient tyrannie.

Intelligence artificielle, neurones miroirs et travail psychique : ce que l'humain et la machine ne peuvent (encore) partager

Le machine learning et les illusions du miroir numérique

À première vue, l’IA moderne fonctionne sur des principes d’apprentissage qui semblent proches de ceux de l’humain. Le machine learning, et plus précisément l’apprentissage supervisé, repose sur une exposition à des données massives, répétées, afin d’ajuster ses prédictions par imitation. Un peu comme un enfant apprend à parler ou à lire les émotions. Pourtant, cette ressemblance n’est qu’apparente. Ce que l’on nomme "apprentissage" dans les réseaux de neurones artificiels n’est pas équivalent au développement subjectif de l’enfant exposé au regard aimant ou intrusif d’un parent. La machine traite des patterns, mais elle ne les symbolise pas.

Les IA génératives, comme ChatGPT, fonctionnent par calcul de probabilités. Elles prédisent le mot ou la réponse la plus plausible à une entrée donnée. Leur "intelligence" repose sur la fréquence, la corrélation, le contexte linguistique. Mais elles ne ressentent pas, ne doutent pas, ne s’interrogent pas sur leur identité. Elles n’ont ni inconscient, ni pulsion, ni conflit intérieur. Elles n’ont pas non plus de neurones miroirs. Autrement dit, elles n’apprennent pas par résonance affective, mais par alignement statistique.

Les neurones miroirs : plus qu’un algorithme d’imitation

Chez l’être humain, les neurones miroirs ne se contentent pas d’imiter. Ils permettent la mise en relation, la construction d’une théorie de l’esprit, c’est-à-dire la capacité à se représenter que l’autre a une conscience distincte de la nôtre. Cette dimension est absente des IA actuelles. Même les modèles dits "embodied" (IA dotées de corps robotisés) n’éprouvent pas de vécu intérieur : leur relation au monde est codée, sans vécu ni affect.

Prenons un exemple concret. À Paris, un enfant regarde sa mère dans le métro. Il voit son visage inquiet, devine la tension dans ses épaules, perçoit l’émotion. Ses neurones miroirs s’activent. Il ressent cette inquiétude, sans en avoir les mots. Cette transmission préverbale façonne son monde intérieur, bien avant tout apprentissage formel. Une IA, même équipée d’une caméra et d’un détecteur d’émotions, pourra identifier une "probabilité d’inquiétude" sur le visage, mais ne l’incarnera jamais. Elle reconnaîtra, mais ne résonnera pas.

Apprentissage par renforcement ou élaboration symbolique ?

Dans les modèles IA, l’apprentissage s’ajuste par renforcement : erreur, correction, récompense. C’est une logique behavioriste. Chez l’humain, l’apprentissage est beaucoup plus ambigu. Il passe par l’affect, la résistance, l’oubli, la sublimation. Le travail psychique, loin d’être linéaire, fonctionne par détours, refoulements, retours du refoulé. Il n’est pas toujours efficace, ni mesurable, mais il construit du sens. Il travaille même à notre insu.

Cette différence qualitative est cruciale dans les métiers de l’accompagnement, de la création ou de la relation d’aide. Une IA peut simuler un psychologue, mais elle ne porte pas les traces d’une histoire, ne peut pas transférer ou contre-transférer, ni même éprouver les tensions d’un silence partagé. Elle n’a pas d’angoisse, pas d’insomnie, pas de conflit de loyauté. Or c’est précisément cela qui fait la richesse (et la fatigue) du travail psychique humain.

Chiffres et mise en perspective professionnelle

L’OCDE estime que d’ici 2027, plus de 27 % des emplois en Europe seront partiellement automatisés par l’IA. Pourtant, les métiers qui reposent sur l’interprétation, l’engagement corporel, l’écoute active, le soin, la médiation ou la création symbolique restent peu substituables. Le World Economic Forum classe les compétences émotionnelles, l’intelligence culturelle et la capacité à résoudre des conflits complexes parmi les plus recherchées pour l’avenir. Ce sont précisément des compétences qui mobilisent nos neurones miroirs, notre histoire, notre subjectivité.

Dans les entreprises, les IA peuvent alléger la charge cognitive liée aux tâches répétitives, mais elles ne remplacent pas le travail psychique de négociation, de loyauté, de projection, de gestion du stress social. Une réunion tendue, une restructuration, un licenciement ne se règlent pas par algorithme. Ils s’inscrivent dans des dynamiques relationnelles où les effets miroir sont omniprésents, et où le travail psychique devient indispensable à la survie symbolique des collectifs.

L’humain, ce miroir imparfait mais vivant

La machine excelle dans la reconnaissance. L’humain dans la reconnaissance mutuelle. Cette nuance fait toute la différence. Les neurones miroirs ne servent pas qu’à imiter : ils fondent la possibilité de partager un monde commun. Ils nous relient, mais aussi nous exposent. Ils sont à l’origine de notre vulnérabilité, de nos insomnies, de notre fatigue psychique, mais aussi de notre capacité à créer, à aimer, à transmettre.

Ce diptyque entre IA et subjectivité humaine ne doit pas nourrir une opposition stérile, mais nous inviter à revaloriser ce qui, en nous, ne se programme pas. Dans un monde saturé d’images, de données et d’automatismes, il devient vital de préserver les espaces de lenteur, de rêverie, de désaccord intérieur. C’est là que le travail psychique opère encore. C’est là aussi que les machines s’arrêtent.

TDA/H, dopamine et stratégies de compensation : quand le cerveau fatigue plus vite

Le TDA/H (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité) illustre de manière exemplaire ce lien entre fatigue psychique, insomnie et surcharge mentale. Les recherches montrent que le cerveau TDA/H fonctionne avec une régulation particulière de la dopamine, neurotransmetteur impliqué dans la motivation, le plaisir et la capacité à maintenir l’attention. Cette fragilité dopaminergique crée une quête constante de stimulation, qui peut donner l’impression d’un moteur mental toujours en marche.

Mais ce moteur, loin d’être infatigable, s’épuise plus vite. Pour compenser la difficulté à rester concentré sur une tâche monotone ou peu gratifiante, le cerveau TDA/H met en place des stratégies de compensation : hyperfocalisation ponctuelle, multitâche, sur-engagement relationnel, recours à des environnements riches en stimulations. Par exemple, le métier d'agent d'entretien en crèche est particulièrement inadapté à ce type de cerveau (en tout cas sans l'appui de la médication) car il s'agit d'un métier répétitif où on applique des consignes sans possibilité d'innovation tout en respectant le timing précis, bref comme un robot programmé. Ce genre de tâche ne sollicite aucune gratification immédiate (les lieux sont souvent propres, donc pas de visibilité de l'efficacité de l'action), on ne vous remercie pas mais on vous rajoute d'autres tâches où on note les oublis, il y a peu d'interactions humaines si ce n'est pour notifier un oubli, et peu de prises d'initiatives ou d'innovations. C'est d'ailleurs assez mal vu. Ainsi, sans l'appui du concerta on peut être sûr que ce type de cerveau décroche assez vite.

Chez l’adulte TDA/H, on observe souvent un cycle paradoxal : la fatigue psychique est intense, mais le besoin de dopamine pousse à chercher encore plus de sollicitations (scroll infini, travail jusqu’à l’épuisement, discussions interminables). Ce cercle vicieux entretient l’anxiété, la rumination et les difficultés de sommeil. Avec le traitement médicamenteux (qui fait le job de la dopamine) ce cercle vicieux est coupé.

À quoi sert la dopamine dans le cerveau ?

La dopamine est souvent appelée "l’hormone du plaisir", mais cette définition est réductrice. En réalité, elle joue un rôle central dans la régulation de la motivation, du mouvement, de l’attention et du circuit de la récompense. C’est elle qui nous donne l’élan pour commencer une tâche, l’énergie pour la poursuivre et la satisfaction qui nous incite à la recommencer.

Au niveau du cortex préfrontal – siège des fonctions exécutives – la dopamine agit comme un chef d’orchestre. Elle module :

  • L’attention sélective, en aidant à filtrer les informations pertinentes au milieu du bruit environnant.

  • La mémoire de travail, indispensable pour garder en tête les étapes d’une action ou les éléments d’une discussion.

  • La planification et l’organisation, qui permettent d’anticiper, hiérarchiser et structurer les tâches.

  • Le contrôle inhibiteur, qui aide à résister aux impulsions immédiates pour maintenir un objectif à long terme.

  • La flexibilité cognitive, c’est-à-dire la capacité à s’adapter à une nouvelle situation ou à changer de stratégie quand la précédente ne fonctionne plus.

Lorsque la transmission dopaminergique est optimale, ces fonctions exécutives s’articulent harmonieusement, favorisant la concentration et la prise de décision. En revanche, un déficit ou un déséquilibre dans la régulation de la dopamine fragilise ce système. Le cerveau peine alors à rester focalisé, à prioriser et à résister aux distractions. C’est ce qui explique pourquoi, dans le TDA/H, mais aussi dans les situations de fatigue psychique intense ou de burn-out, ces fonctions s’effondrent : la personne se sent "dans le brouillard", incapable de décider, d’organiser ou même de commencer une tâche simple.

Les personnes non diagnostiquées ou celles ne bénéficiant pas du traitement sont donc en manque de dopamine pour faire fonctionner ces stimulations et peuvent naturellement vouloir compenser par des produits sucrés. Je donne un exemple concret, dans l'intérim de ce moment je travaille avec une jeune femme qui dès le début de la mission (12h15 n'est pas motivée pour faire le job ni pendant toute la durée de la mission: il faut dire que le job n'est pas le plus stimulant, celui d'agent d'entretien en crèche.) Son armoire regorge de sodas sucrés, de gateaux et de plein de cochonneries). Bref son cerveau a besoin de sucre sauf que le sucre ne permet pas de maintenir une attention, ni une motivation durable pour ce type d'emploi. Il y aurait encore plus de détails à donner pour préciser le diagnostic final, mais ce n'est pas l'objet de ce texte.

Les apports du traitement médicamenteux : Concerta, Medikinet et la rééducation du cerveau

Chez les personnes avec TDA/H, les traitements médicamenteux à base de méthylphénidate (comme Concerta ou Medikinet) agissent directement sur la régulation de la dopamine et de la noradrénaline dans le cerveau. Leur rôle n’est pas de "transformer" la personnalité, mais de soutenir les fonctions exécutives qui peinent à s’activer naturellement. En augmentant la disponibilité de la dopamine dans certaines zones clés – notamment le cortex préfrontal – ces médicaments facilitent la concentration, la mémoire de travail et la capacité à planifier. Par exemple, pour ma part (avec seulement le TDA), le fait de prendre le concerta me permet de faire ces métiers si peu adaptés au fonctionnement classique de mon cerveau de 06h à 08h30 et de 12h15 à 20h tout en restant concentrée sur la succession des tâches à faire. Cela m'est bien utile pour engranger de l'argent pour ma famille ou mon entreprise dans des métiers assez facilement délaissés par de nombreuses personnes tout en restant en intérim. Je ne dis pas que je peux me projeter durablement sur le poste, je dis que je peux faire le job en poursuivant un objectif et une finalité autre nettement plus motivante que le poste en lui-même.

Contrairement à une idée répandue, ces médicaments ne sont pas des "dopants" mais plutôt des régulateurs. Ils permettent de réduire le bruit intérieur, de calmer l’agitation mentale et de donner au cerveau la possibilité de fonctionner avec plus de clarté. Cette stabilisation crée un espace de rééducation cognitive : la personne peut alors expérimenter de nouvelles stratégies d’organisation, apprendre à mieux gérer son temps, ou encore développer des routines de récupération psychique qui seraient autrement inaccessibles. Je donne un exemple: en prenant le concerta, j'ai l'impression de vivre un éternel présent et j'ai l'impression d'être tout le temps dans cette crèche. Or quand je fais le relevé d'heures du mois de septembre je me rends compte que j'ai eu besoin de multiplier des lieux de missions différents dont un avec des investissements sociaux qui me parlent davantage. Je vois donc bien qu'entre ce que je crois vivre et la réalité de mon planning il y a bien un écart. C'est donc cela l'objet de la rééducation du cerveau. J'apprends à mieux me connaitre et à voir les limites de mon handicap et ce qui m'attire durablement en terme de motivations.

Ce traitement peut être comparé à des "roulettes de vélo" posées le temps de réapprendre l’équilibre. Il ne remplace pas le travail psychique, l’accompagnement thérapeutique ou les aménagements environnementaux (organisation du travail, pauses, gestion du sommeil), mais il offre un appui temporaire ou durable pour que le cerveau retrouve ses marges de manœuvre.

Par ailleurs pour que la rééducation puisse fonctionner il faut des pauses hebdomadaires de 2 à 3 jours. Or pendant ces pauses je reviens à mon mode normal, l'hyper-créativité qui est à l'origine de cet article (entre autre) et une dimension sociale marquée par un rapport au présent qui n'est pas celui de la répétition de la tâche mais par l'expérience de la relation humaine.

Une jolie fleur mais bien fragile: le TDA HPI

Je vais donc parler de mon handicap qui sous bien des aspects fait envie à de nombreuses personnes car elles ne mesurent pas les limites de ce handicap et ne voient que la surface. Cette semaine par exemple j'ai eu à former, accompagner des binômes sur différents postes de métiers basiques (entretien des écoles, agent de crèche) avec des horaires atypiques (6h00-08h30 et 12h15-20h00) le métier est simple, répétitif et relativement protocolé. Cette posture nécessaire pour accueillir ces nouvelles figures et faire en sorte que le travail soit fait dans les temps et conforme aux attentes de la direction et conforme aux attendus en terme de  normes d'hygiène a déclenché en moi le mode hyper-vigilance. En apparence, pédagogue, patiente, empathique, anticipant les problématiques, expliquant tout en étant un bon binome et bon collègue sur ces 2 métiers différents, a mobilisé en moi toute mon énergie cognitive. Même avec le concerta, arrivée à Vendredi, et surout ce week end non seulement je suis hachée mais je n'arrive plus à dormir. En effet mon cerveau retraite la nuit tout ce qui est non conforme aux attendus professionnels mais aussi à mes attendus éthiques en terme d'équipe. La régulation émotionnelle ne me permettant pas d'évacuer autrement. Même si c'est une posture que j'adore, je sais que sur la durée je ne peux pas me permettre de vivre cela surtout en tant que mère de famille, et que je devrais sans doute pour me préserver faire une fiche de traçabilité cochable comme en clinique afin que mes collègues qui démarrent puissent avoir un point de repère extérieur à moi même pour avancer.

Ce que je décris là n’a rien d’un simple coup de fatigue : c’est une réaction neurocognitive bien réelle, documentée par les sciences du cerveau. Chez une personne vivant avec un TDA, le cerveau n’a pas de filtre automatique. Il capte tout — les gestes, les micro-expressions, les sons, les incohérences, les émotions de l’autre — et il traite ces informations comme si elles avaient toutes la même importance. Là où un cerveau neurotypique trie, hiérarchise et oublie, le mien reste ouvert à tout, tout le temps.

Cette ouverture constante n’est pas une faiblesse en soi : elle permet souvent une lecture fine des situations humaines, une empathie spontanée, une créativité vive. Mais elle a un coût invisible. Car derrière la surface calme et organisée, le cortex préfrontal — la zone du cerveau qui gère l’attention, la planification et la régulation — travaille à pleine puissance. Il tente de coordonner ce flot continu d’informations, pendant que le système limbique, chargé des émotions, envoie en parallèle ses signaux d’alerte. Cela crée un état d’hypervigilance, c’est-à-dire une tension cognitive et émotionnelle prolongée.

Dans mon cas, quand je forme quelqu’un ou que je veille à la conformité du travail, chaque détail devient signifiant. Une minute de retard, un geste oublié, un protocole mal compris… tout est perçu, analysé, anticipé. Mon cerveau fonctionne alors comme un radar : il balaie l’ensemble du champ, cherchant à prévenir chaque erreur possible. Le Concerta m’aide à rester concentrée et cohérente, mais il ne coupe pas la boucle de vigilance. Il stabilise l’attention sans éteindre la surchauffe interne.

Le soir, quand tout s’arrête enfin, le cerveau dopaminergique du TDA, lui, ne s’arrête pas. Il continue de retraiter les scènes de la journée, cherchant du sens, du lien, de la cohérence entre mes exigences professionnelles et mes valeurs éthiques. C’est une forme d’auto-régulation différée : comme si le cerveau voulait « ranger » après coup tout ce qu’il n’a pas pu trier sur le moment. Le problème, c’est que cette activité nocturne empêche le repos. Le sommeil, censé être le moment de la récupération, devient le théâtre d’une relecture incessante, presque morale, de la journée.

Sur le plan cognitif, cela s’explique par une régulation émotionnelle moins automatique. Les circuits entre le cortex préfrontal et l’amygdale (le centre de traitement de la peur et du stress) fonctionnent différemment : ils mettent plus de temps à redescendre après un pic d’attention. Le cerveau reste donc en “mode travail”, même dans le silence de la nuit.

C’est pour cela que je réfléchis à des outils concrets d’allégement, comme cette fiche de traçabilité cochable que j’évoquais. Ce n’est pas anodin : c’est ce qu’on appelle une externalisation cognitive. En plaçant à l’extérieur de soi une partie des informations à suivre, on déleste la mémoire de travail, on réduit la charge mentale, et on permet au système nerveux de retrouver un point d’ancrage stable. C’est une façon de préserver sa santé tout en restant fidèle à son exigence professionnelle.

Car le danger, pour un cerveau TDA, ce n’est pas le manque de motivation : c’est l’épuisement par excès de conscience. Et si j’aime profondément cette posture de transmission, je sais aujourd’hui qu’elle doit s’accompagner d’un cadre clair, visible, écrit. Non pour me protéger de mes limites, mais pour que ma rigueur intérieure ne me dévore pas alors que ma famille mérite davantage mon attention.

Conclusion : penser au-delà du miroir

Dans un monde où l’humain est constamment renvoyé à sa propre image – image sociale, image numérique, image de performance – il devient de plus en plus difficile de préserver les espaces d’intériorité. Le travail psychique, cette force silencieuse qui donne sens à nos émotions, nos expériences et nos contradictions, est aujourd’hui mis à rude épreuve. Pris dans un enchevêtrement de sollicitations mentales et de reflets permanents, le sujet contemporain navigue à vue, souvent privé de sommeil, traversé par des conflits internes qu’il ne peut plus symboliser.

Face à cela, la tentation est grande de s’en remettre à des solutions extérieures, techniques, voire artificielles. L’intelligence artificielle promet efficacité, rapidité, réassurance algorithmique. Mais elle ne peut pas, par nature, remplacer le lent tissage intérieur qui fait la singularité humaine. Elle ne peut pas souffrir, ni aimer, ni rêver, ni faire l’expérience d’un regard qui nous façonne autant qu’il nous trouble. Elle ne peut pas non plus nous délivrer de l’insomnie causée par une émotion non digérée ou un mot trop dur reçu dans une réunion.

Ce que nous révèlent les neurones miroirs, les apports de la psychanalyse et les neurosciences contemporaines, c’est que l’humain n’apprend pas seulement par exposition, mais par résonance. Il construit du sens en intégrant ce qu’il ressent, pas uniquement ce qu’il reconnaît. Et ce processus demande du temps, de la lenteur, de la présence.

À l’heure où l’on parle de plus en plus de santé mentale au travail, de burn-out, de charge cognitive et d’insomnies chroniques, il devient essentiel de revaloriser le travail psychique comme un pilier de la santé globale. Ce n’est ni une faiblesse, ni un luxe. C’est une nécessité. Comprendre que notre fatigue mentale est souvent la conséquence d’une hyperstimulation du moi exposé, et non d’un défaut d’organisation ou de productivité, est déjà une forme de libération.

C’est pourquoi il est urgent d’imaginer des espaces professionnels et sociaux qui reconnaissent la valeur de l’invisible : la réflexion, la rêverie, la relation. De réhabiliter le droit à ne pas répondre immédiatement, à ne pas être parfait, à ne pas tout comprendre tout de suite. En somme, de retrouver le temps de penser. Non pas comme une fuite hors du réel, mais comme un retour à ce qui nous rend profondément vivants, loin des automatismes et des reflets trop lisses.

Le miroir peut être source de connaissance, mais il devient aliénant lorsqu’il se substitue à la présence. Entre l’image que l’on donne et l’expérience que l’on vit, il y a tout l’espace du travail psychique. C’est cet espace qu’il nous faut protéger, habiter et transmettre.

Chez les personnes en état de burn-out ou de fatigue cognitive sévère, les recherches montrent un affaiblissement de la connectivité neuronale dans les zones frontales impliquées dans la régulation émotionnelle et l’attention. On observe également une perturbation des rythmes circadiens, un excès de cortisol, et une diminution de la mémoire de travail. Autant d’éléments qui convergent pour montrer que l’exposition continue à des sollicitations sociales intenses, combinée à un travail psychique non intégré, finit par provoquer des effets mesurables dans le cerveau lui-même.

Comprendre le travail psychique et l'effet miroir, c'est mettre des mots sur des maux invisibles. C'est aussi reconnaître que l'insomnie, la fatigue mentale et le sentiment d'épuisement sont les manifestations d'un combat quotidien que l'on mène souvent sans le savoir, entre ce que l'on est, ce que l'on donne à voir, et ce que l'on se sent obligé de devenir. Dans un monde où les reflets sont partout, réapprendre à se rencontrer soi-même sans être prisonnier du miroir devient un enjeu de santé mentale, de liberté intérieure et peut-être, de réconciliation avec le sommeil lui-même. Les découvertes en neurosciences sur les neurones miroirs ne contredisent pas les hypothèses psychanalytiques : elles les complètent, les prolongent, et leur donnent une assise empirique. Ainsi, entre Paris et l’enfance, entre Lacan et Rizzolatti, se dessine une carte mentale de notre époque, où l’épuisement du soi devient un symptôme aussi urbain qu’universel.